Cette question d’une facebookeuse dont la maman vient de se voir diagnostiquer un cancer du sein revient souvent tellement il est fréquent (une femme sur 10, voire une femme sur 8 en Europe) et n’arrive pas qu’aux autres. Moi-même, je peux dire que j’ai malheureusement eu à vivre cela récemment dans ma famille proche. Quelles sont les étapes du diagnostic puis de la prise en charge, sans oublier la prévention ?
En fait, il y a différents circonstances qui peuvent amener au diagnostic. Le plus souvent, la patiente va percevoir une masse au niveau de son sein, soit par autopalpation, soit à la suite d’un coup ou alors d’une petite douleur ou d’un ganglion au niveau de ses aisselles. Parfois il y a une inflammation du sein qui devient rouge, ou encore un écoulement de sang au niveau du mamelon qui peut aussi être déformé. Malheureusement, dans notre pays il est encore rare que le diagnostic soit fait par une mammographie de dépistage faite de manière systématique à partir de 45 ans alors que dans les pays occidentaux, cette pratique organisée à partir de 50 ans permet de dépister jusqu’ à 20 % de cancers encore asymptomatiques de très bon pronostic car encore à un stade de début.
De même, je rappelle aux gens qu’il faut consulter tôt dès l’apparition des symptômes et non se dire que ça va disparaitre tout seul. Je me rappellerai toujours le triste cas d’une femme il y a 15 ans a qui j’ai du faire une ablation du sein car elle avait vraiment tardé à venir avec quand je l’ai vu une tumeur de 4 cm et une mammographie faite 9 mois plus tôt montrant une tumeur de 1 cm !!!
Donc mesdames, penser à faire une mammographie à partir de 45 ans, même et surtout si vous ne vous plaignez de rien.
Dès la suspicion du diagnostic, on va vous prescrire une mammographie très souvent couplée à une échographie pour caractériser la masse, sa taille, sa vascularisation et l’existence de ganglions visibles. Si ces examens sont rassurants, on peut vous proposer une simple surveillance, à la condition d’avoir été vu dans un centre de radiologie de référence et d’une bonne concordance clinique et radiologique. Mais souvent l’examen clinique est déjà parlant et le médecin a une forte suspicion de cancer qu’il va confirmer par la biopsie. Si auparavant, on passait directement à la chirurgie pour enlever la tumeur, l’analyser en extemporanée (immédiatement alors que la patiente est encore au bloc) avant de procéder à un traitement conservateur ou à une ablation du sein, la prise en charge a bien changé actuellement. Il y a des moyens beaucoup plus faciles d’avoir une preuve anatomopathologique (étude du tissu qui affirme le cancer), soit par biopsie écho guidée, soit par biopsie au trucut, petit pistolet qui permet d’avoir un petit bout de la tumeur pour cette analyse. Mais cette biopsie ne confirme pas juste le cancer, elle permet aussi de réaliser une immunohistochimie (IHC-marquage par des anticorps qui vérifient la présence ou non de récepteurs aux traitements existants)) qui donne la carte d’identité du cancer, son agressivité, sa sensibilité ainsi que des facteurs pronostiques et des facteurs prédictifs du traitement.
Mais avant de traiter, il faut stadifier le cancer, savoir s’il est étendu localement, aux ganglions, ou s’il a métastasé aux autres organes, l’état de l’autre sein…
La mammographie peut en plus objectiver de petites calcifications montrant que le cancer n’est pas limité à la masse, mais qu’il peut être disséminé dans la glande. Elle permet aussi de voir si la peau est atteinte. Tous ces éléments sont importants à savoir si l’on veut proposer un traitement conservateur du sein qui est possible même si la tumeur est volumineuse mais localisée, mais pas si la maladie diffuse dans le sein. Pour mieux voir l’extension locale, on peut demander également une IRM mammaire. On a aussi besoin de savoir si le cancer n’a pas métastasé plus loin. Selon le stade et l’agressivité mais aussi les moyens financiers, on peut demander une radio pulmonaire, une échographie abdominale, un scanner thoraco-abdomino-pelvien, une scintigraphie osseuse…. pour s’assurer que tous les autres organes sont indemnes. Le nec + ultra reste le pet scan qui est cher (à partir de 8000 dhs) mais peut montrer une infime métastase dans tout le corps.
Une fois toutes ces données acquises, votre gynécologue discutera en réunion pluridisciplinaire avec d’autres collègues, chirurgien, oncologue, radiologue, anapath, généticien … (soit en staff soit au téléphone souvent) pour décider du meilleur traitement à vous proposer selon le bilan initial: Ce n’est plus la chirurgie qui est systématiquement la 1ere ligne du traitement, on peut discuter une chimiothérapie ou une hormonothérapie en 1er lieu, surtout si le cancer n’est pas totalement localisé. Votre avis compte aussi bien sûr.
Si vous avez un cancer localisé et peu agressif, on vous proposera une chirurgie première avec traitement conservateur du sein qui sera obligatoirement suivi ultérieurement par une radiothérapie pour éviter une récidive locale. Si la maladie est disséminée, on devra vous proposer une ablation de tout le sein, avec possibilité de reconstruction immédiate ou ultérieure. La chimiothérapie, l’hormonothérapie ou les thérapies ciblées post opératoires se décideront sur les facteurs pronostics réétudiés sur la pièce opératoire. Si le cancer est localement avancé avec des facteurs d’agressivité, on va vous proposer une chimiothérapie ou une hormonothérapie 1ere avant la chirurgie et les rayons. Devant une grosse tumeur sur des petits seins, on peut même vous proposer une chimiothérapie 1ere afin de diminuer la taille tumorale et proposer un traitement conservateur grâce à des techniques d’oncoplastie enlevant la tumeur de façon large tout en donnant une forme esthétique au sein restant. Bien sûr, si le cancer est métastatique, la chirurgie n’a plus lieu d’être sauf cas particulier.
Pour exemple, j’avais diagnostiqué un cancer inflammatoire chez une dame de 88 ans à qui j’avais fait une simple biopsie et traitée par simple hormonothérapie pendant 4 ans. Mais cela reste exceptionnel et chaque cas est diffèrent de l’autre. Au final, chaque cas de cancer du sein est un cas particulier selon l’âge de la patiente son profil, son terrain, sa taille son stade et surtout son profil immunohistochimique. Le traitement diffère selon chaque cas et les médecins suivent en général les recommandations de plusieurs sociétés savantes qui sont régulièrement actualisées selon les avancées de la science. Et il y en a beaucoup. A tel point qu’un seul mot résume pour moi le cancer du sein : ESPOIR !!! Car grâce à ces avancées, il y a beaucoup d’espoir de guérir de ce cancer (pas toujours, bien sûr) mais quand on peut donner 5 ans, voire 10 ans de vie à une femme au stade métastatique, on peut être heureux. Et les stades les plus petits peuvent même vivre 20 ans 30 ans sans récidive, à condition de bien se faire suivre.
Autre chose, un soutien psychologique est fondamental pour vous aider vous-même à vaincre ce crabe. Rien à sert de déprimer, une attitude combative donne un boost à votre corps et à votre immunité pour lutter contre le cancer car il y a vraiment un espoir de s’en sortir. Il faut bien manger, avoir des idées positives et se battre jusqu’au bout malgré la difficulté et la longueur du parcours thérapeutique. Recentrez-vous sur l’essentiel et essayez d’oublier les futilités du quotidien. Votre famille vos proches et vos amis vont vous entourer bien sûr. Vous devez faire confiance à votre médecin traitant et toute l’équipe médicale qui vont vous accompagner sur le chemin de la guérison et ne pas hésiter à les questionner sur votre prise en charge. Il existe aussi beaucoup d’associations qui aident les patientes avec un cancer du sein (Les amies du Ruban Rose, Dar Zhor…..)
Mais prévenir vaut mieux que guérir et j’insisterai pour ma fin sur la prévention. On connait les facteurs favorisant le cancer mais malgré cela on les consomme tous les jours : c’est le mode de vie occidental : le stress, la pollution, l’obésité, la malbouffe, l’absence de sport entre autre. On s’est aussi rendu compte que ce qui favorise le cancer, c’est l’insuline qui est un facteur de croissance cellulaire: on s’est rendu compte que les diabétiques de type 1 souffrant de manque d’insuline font peu de cancer, par contre l’obésité, le diabète de type 2 non équilibré sont des facteurs de risque du cancer. Tout autant que la malbouffe, une alimentation trop riche en sucres d’absorption rapide ou en lipide, associés à la sédentarité et l’absence d’activité physique régulière font le lit du crabe. La prévention primaire ou comment éviter le cancer reste donc difficile mais il faut essayer d’avoir une vie la plus saine et équilibrée possible.
La prévention secondaire consiste à rechercher le cancer avant qu’il n’apparaisse. Toute femme doit faire une mammographie à partir de 45 ans, même et surtout si elle ne se plaint de rien. Si elle a un terrain familial de cancer ou de maladie fibrokystique du sein, cette mammographie devrait peut être débuter dès 40 ans. Même si vous devez faire un cancer comme 10 à 15% des femmes, celui-ci sera pris en charge précocement et de la manière la plus facile.
Désolé d’avoir été si long, mais je veux vraiment vous pousser à vous faire dépister car ce crabe n’arrive pas qu’aux autres.
Dr Hicham BEN ABBES TAARJI
Dr Hicham BEN ABBES TAARJI
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